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DEUX BRIGANDS CROATES


En 1927, Mimara et Tito ont cambriolé la cathédrale de Zagreb, mais après la Seconde Guerre mondiale ils auront des projets de plus grande envergure.


Par Miloslav SAMARDJIC


Traduction du serbe et adaptation de l’article publié dans la revue «Liberty» de la «Serbian National Defense»  de Chicago (USA) le 10 novembre 2017.

Tito et Anté Topic Mimara sur une île de l'archipel de Brioni au large de l'Istrie à la fin des années 1960


Anté Tomic ‘Mimara’ est le premier brigand croate à avoir atteint une renommée internationale. Il faisait les gros titres des journaux déjà en 1928. Par contre, son complice dans son plus gros coup de l’époque – le vol du trésor de la cathédrale de Zagreb – Josip Broz Tito, par un concours de circonstances est resté au second plan.

 

Anté Topic ‘Mimara’ était un des alias que ce malfrat avait choisi quand il s’était mis à «nettoyer» sa propre biographie. Il s’appelait en réalité Mirko Maratovic.

 

Ce détail ainsi que beaucoup d’autres au sujet du tandem Mimara-Tito est rapporté par Miodrag Certic dans son fabuleux documentaire en trois épisodes: „Et le collectionneur fut forgé„ (1) que la chaîne de télévision publique RTS1 a diffusé en exclusivité.

 

L’une des plus importantes révélations à l’équipe de Certic est celle de sœur Lina, conservateur du Musée de la cathédrale de Zagreb, qui a confirmé que Mimara et Tito opéraient ensemble. La partie du travail de Tito était de produire un double de la clé spéciale qui permettait d’ouvrir la chambre forte. Il est utile de rappeler que Tito était serrurier de formation, et qu’il a pendant une courte période exercé l’activité d’aide- serrurier.

 

Nous étions en 1927. Mimara, qui avait déjà beaucoup d’argent de ses fric-fracs précédents, venait d’emménager à Zagreb, où il se faisait passer pour un aristocrate, se présentant comme comte. Il visitait souvent la cathédrale, prétendant faire des recherches, et il avait réussi à gagner la confiance des gens, notamment en faisant cadeau à l’évêque d’un crucifix en argent datant du XVIIIe siècle, qu’il avait « très probablement » dérobé quelque part. Ainsi, d’après le témoignage de sœur Lina, le sonneur de cloches lui avait un jour confié la clé de la lourde porte de la chambre forte qui contenait le trésor. De toutes les richesses qu’elle contenait, les voleurs étaient particulièrement intéressés par un diptyque datant du XIe siècle, conservé dans un coffret en ivoire orné d’émeraudes. Mimara remit la clé à Tito, qui en fait une copie, et le sonneur de cloches ne se rendra compte de rien.

 

Afin que le vol ne soit pas immédiatement découvert, la boîte en ivoire a été remplacée par une copie que Mimara avait fait produire – celle-ci ornée de verroterie ordinaire. Il est dit ensuite dans le documentaire :

 

«Alors que Mimara s’était enfuit à Paris, son complice Tito était manifestement resté en Yougoslavie. Il avait été arrêté par deux fois la même année pour activité communiste (2), mais pas à notre connaissance, pour le cambriolage.»


Et en effet, d’après ce que l’on sait, Tito a été condamné en 1927 au procès d’Oguline et en 1928 au procès de Zagreb en tout à cinq ans de prison – pour propagande communiste et détention d’armes. Mais, était-ce uniquement pour cela ? Et que sait-on réellement aujourd’hui de quelqu’un qui, après 1945 avec ses camarades détruisait systématiquement les documents compromettants ?

 

À l’évidence aujourd’hui on n’en sait pas assez. C’est pourquoi nous sommes amenés à faire des recherches dans les archives de celui qui à l’époque en savait suffisamment – le général Draja Mihaïlovic, l’un des meilleurs agents du renseignement de son temps. À partir de la fin de l’été 1941, son service de renseignement commence à rassembler des informations au sujet du meneur des communistes. Lors de sa première rencontre avec Draja le 19 septembre 1941 au village de Struganik, Tito s’était présenté sous le surnom de ‘Walter’, mais, l’académicien Draguicha Vassic qui était présent lui a tout de suite dit que les Tchetniks savaient qui il était et ce qu’il était réellement.


Début 1943, des agents tchetniks du renseignement sont parvenus à mettre la main sur la fiche de Tito du commissariat de police de Zagreb. À cette occasion, le général Draja envoie par radio l’appel suivant à ses commandants:


«Faites imprimer de toute urgence des tracts au sujet de Tito. Je répète : Tito. Son nom est Josip Broz, Croate de naissance, de père prénommé Franjo, né au village de Kumrovec, municipalité de Zagorska Sela, dans l’Oblast de Klanjec, aide serrurier, voleur par effraction, inscrit dans les fiches de la police de Zagreb en 1928 sous référence num. 10434. Avait aussi pillé une église.»

 

Ce document est aujourd’hui conservé aux Archives militaires à Belgrade, fond des archives Tchetniks, boîte numéro 293, numéro d’enregistrement du document 4/1.

 

Quand un ministre du gouvernement yougoslave en exil à Londres – le Dr. Milan Grol –avait osé faire un parallèle entre les Tchetniks et les Partisans dans un discours le 26 mars 1943, le général Draja Mihaïlovic avait le lendemain envoyé un message radio au chef du gouvernement, l’académicien Slobodan Jovanovic, dans lequel il énonce entre autres :

 

«Un cambrioleur inscrit dans les fichiers de la police de Zagreb sous le numéro 10434, sous le nom de Josip Broz alias Tito, par ailleurs meneur des communistes, peut-il être comparé avec nous comme combattant du peuple ? À l’avenir, quand vous voudrez mettre en exergue Tito comme combattant du peuple, éloignez-le de nous, car nous n’avons rien à voir avec une bande de repris de justice et de vulgaires scélérats.» (3)


Dans un appel à tous ses commandants du 7 novembre 1943, le général Draja rappelle que le meneur des communistes est «le bandit Josip Broz Tito». Quand quelque temps plus tard, au Commandement suprême est parvenue une information selon laquelle les Anglais essayaient de se servir du diplomate Bozine Simic, le général Draja l’évoque dans un message radio du 25 novembre au major Vojislav Loukatchevic :

 

«Il se peut que ce soit vrai, mais il se peut aussi que ce soit une manœuvre. En aucun cas il ne représente notre gouvernement, et peut-être même est-il communiste. Avec lui, les Anglais pensent tenter de mettre sur le devant de la scène quelqu’un au passé plus propre à la place du malfrat Tito…» (4)


Par conséquent, le fric-frac de l’église par Tito était notifié dans le fichier qu’on avait ouvert sur lui au commissariat de police. Pendant la guerre, les Tchetniks l’avaient appris et, par leur biais, une grande partie des citoyens des régions libres sous leur contrôle. Pour les chercheurs à l’avenir, il restera à vérifier si le fichier mentionné avec ce numéro de référence était le seul fichier de police sur Tito, s’il existe toujours, si aucune page n’est manquante, etc…

 

Dans la suite du documentaire, Certic s’interroge sur ce qu’est devenu le diptyque «qu’il (Mimara) et Tito avaient dérobé à la cathédrale de Zagreb?»


Donc, Tito a été arrêté, alors que Mimara prend la fuite pour la France, où il revend et les émeraudes et le coffret en ivoire. La chose commence à se compliquer quand le coffret parvient dans un musée à Cleveland aux États-Unis, qui se met à s’en vanter. Le Royaume de Yougoslavie demande alors officiellement aux États-Unis la restitution du coffret volé (et il a été restitué), et à la France que Mimara soit arrêté. Dans le documentaire on n’explique pas comment Mimara avait été démasqué, c’est-à-dire s’il n’avait pas été trahi par son complice Tito.

 

La France procède à l’arrestation de Mimara et il passe quelque temps en prison, mais il réussit à s’en échapper peu de temps avant son extradition vers la Yougoslavie. Alors, il établit sa nouvelle base dans l’Allemagne nazie, en intégrant l’équipe de Göring des pilleurs d’œuvres d’art, en particulier celles appartenant aux familles juives assassinées. Il restera à Berlin, où il avait une boutique, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, dans le Berlin dévasté et divisé de la fin de la guerre, les «affaires» n’allaient pas fort pour lui, mais entre-temps son compère Tito a été placé au pouvoir en Yougoslavie. Cela signifiait non seulement que l’avis de recherche contre lui n’était plus d’actualité, mais qu’avec son complice d’avant-guerre il pourra se lancer dans de nouvelles entreprises bien plus colossales. Ainsi, Mimara se rend en 1946 à Belgrade chez Tito, il obtient un passeport diplomatique –qui a en soi une valeur inestimable pour les escrocs – et le mandat pour représenter la Yougoslavie dans le processus de restitution des œuvres d’art volées par les nazis. Le processus était conduit par une commission composée d’experts américains. Cette commission exigeait avant toute considération de restitution une description précise des objets volés, alors Mimara avait dans un premier temps peu de succès. Cependant, à un moment, il fait entrer en jeu sa concubine, l’Allemande Wiltrud Mersmann.

 

La Commission ignorait que Wiltrud était la compagne de Mimara et son associée dans sa boutique à Berlin pendant la guerre. Ainsi, elle devient l’une des Allemandes membres du cercle élargi de la Commission. Elle avait accès aux œuvres d’art que les nazis avaient pillé dans toute l’Europe occupée, elle choisissait les plus chères, réalisait leur description précise qu’elle livrait à la Commission yougoslave, c’est-à-dire à son concubin Mimara. Les Américains se sont soudain régulièrement vu remettre des descriptions très précises – des peintures de Rembrandt à la joaillerie – sur des listes comportant le tampon de la Yougoslavie socialiste et la signature de l’escroc mandaté, c’est-à-dire de la personne représentant le pays dans ce processus de restitution.

 

Mimara envoyait les œuvres d’art restituées au Musée National de Belgrade. Il avait envoyé 166 listes d’œuvres d’art répertoriant des milliers d’articles.

 

Mais, à un moment donné, les Américains se rendent compte de la supercherie. Wiltrud est arrêtée et Mimara s’enfuit en Yougoslavie. À partir du 1er juin 1950, les Américains exigent de la délégation yougoslave, puis du pouvoir à Belgrade, que les objets volés soient rendus. La réponse des communistes yougoslaves était que «une enquête est en cours», et dans le document que Certic a découvert on voit clairement la volonté de Tito et de ses complices de faire traîner l’affaire dans le temps. Mais ils découvrent alors que Mimara les avait trahi eux aussi, en apprenant que Mimara avait conservé pour lui 74,5 kilos de platine et d’autres métaux précieux. Il n’était pas difficile de le découvrir puisque les Américains leur avait fait parvenir une liste complète des objets dont ils exigeaient la restitution. L’unique sanction prise par la Yougoslavie socialiste à l’encontre de l’escroc avait été de lui retirer son passeport diplomatique.

 

Fin 1950 ou début 1951, Mimara part de Yougoslavie pour tenter d’évacuer de Berlin-est, resté derrière le «rideau de fer», son immense collection d’œuvres d’art volées.

Il se rend à Montevideo en Uruguay, prend contact avec la colonie croate (5) et tente de gagner la confiance du gouvernement du pays. Son objectif était que le déménagement de sa collection restée à Berlin soit réalisé par l’Uruguay. Mais les uruguayens y renoncent, voyant que la collection était composée d’œuvres volées et de copies.

 Entre-temps, la CIA réussit en 1953 à retrouver les traces de Mimara à Montévidéo, ce qui le fait retourner précipitamment en Europe. Il réussit d’une façon qui ne nous est pas connue à évacuer une partie de sa collection de Berlin vers la Suisse et d’autres pays. Puis il règle son problème de citoyenneté en 1957 : en épousant Wiltrud il devient citoyen autrichien.

 

Pendant toutes ces années les services secrets américains étaient à sa recherche et le Département d’État américain fait pression sur la Yougoslavie pour qu’elle restitue les biens volés. Mais la pression est très légère, parce que les États-Unis estimaient que la Yougoslavie leur était d’une importance stratégique pendant la «Guerre froide». Les Américains procédaient de la même façon dans d’autres cas. Par exemple, ils n’insistaient pas que soient restitués d’autres biens volés qui avaient fini au Portugal et en Espagne, parce qu’ils avaient besoin d’installer des bases militaires dans ces pays.

 

La Yougoslavie, naturellement, n’avait pas lancé d’avis de recherche pour Mimara. Pendant les années 1960, deux événements importants vont se produire au bénéfice de cet escroc.

Tout d’abord, il réussit à revendre un crucifix datant du haut Moyen-âge – dérobé Dieu sait où - au Metropolitan Museum de New York, pour 600.000 US dollars. Avec cet argent il s’achète un château près de Salzburg en Autriche et entame le nettoyage de sa biographie. Ensuite, en 1966 a lieu l’assemblée plénière du Comité central du Parti communiste yougoslave sur l’archipel de Brioni, au cours de laquelle le directeur de la police secrète (l’UDBA) Alexandre Rankovic est démis de ses fonctions et avec lui plusieurs hauts cadres «serbes» de ce service tombent. Aux postes importants de la «Sécurité nationale» sont choisis des Croates, et parmi eux des amis de Mimara. Ce dernier demande immédiatement que les objets d’arts volés, qui étaient jusqu’alors conservés au Musée National de Belgrade, soient transférés à la Galerie Strossmayer à Zagreb, et accuse Rankovic d’avoir nui à sa réputation.

 

La même année 1966, Mimara écrit à l’Assemblée de la RFS de Yougoslavie. L’Assemblée forme une commission, laquelle, entre autres, commande un rapport à Momtchilo Sibinovic, ancien colonel de l’OZNA (ancien nom de l’UDBA) et membre de la commission pour la restitution du patrimoine pillé par les nazis. Sibinovic décrit Mimara comme étant un escroc et un imposteur, argumentant avec une série d’exemples d’escroqueries. À l’évidence, ce colonel n’avait pas connaissance des «rapports particuliers» qu’entretenaient Mimara et Tito. Aussi, la requête de Mimara est acceptée, mais pas complètement. En fait, pendant que les objets volés se trouvaient encore en dépôt au Musée National de Belgrade, des milliers d’objets avaient disparu sans laisser de trace. De ce qui restait, une partie est expédiée à Zagreb, une autre est laissée à Belgrade.

 

L’autre requête de Mimara consistait en l’ouverture d’un musée portant son nom à Zagreb. Pour un coût public exorbitant, les travaux commencent en 1973 pour l’ouverture de ce musée dans un immeuble fourni par l’État yougoslave qui avait été un ancien lycée bâti au XIXe siècle par un architecte allemand du temps de l’Autriche-Hongrie. Mimara venait librement en Yougoslavie, où il y rencontrait Tito. Comme contre-service pour la mise à disposition de «ses» œuvre dans son musée, il avait demandé – et obtenu – la propriété d’une maison en bord de mer, l’usufruit d’un appartement à Zagreb et une pension à vie de 100.000 US dollars annuels. Après sa mort, la moitié de ce montant sera versé à sa veuve Wiltrud (et elle continue de la percevoir).

 

Le musée, ouvert en grandes pompes en 1987, avait ceci de malheureux qu’il avait aussi été visité par des experts en art. Ils avaient tout de suite vu que ce musée était celui qui abritait le plus grand nombre de copies d’objets d’art au monde. Les conservateurs se sont alors mis à nommer les prétendues peintures de Rembrandt comme étant «dans le style de Rembrandt», modifiant les dates de leur création. Le musée existe toujours aujourd’hui - c’est le plus grand musée d'art de Zagreb  - mais «personne n’y entre jamais le visiter», et on le loue pour des banquets et des mariages.

 

L’Italie a annoncé vouloir porter plainte contre la Serbie, afin que les œuvres d’art qui ont été pillées sur son sol et qui sont maintenant entreposées au Musée National de Belgrade lui soient restituées. Dans le documentaire de Certic, le représentant du Musée National de Belgrade explique que rien ne devrait être restitué, du fait que les nazis avaient pillé en Serbie beaucoup d’autres objets qui n’ont jamais été retrouvés ni restitués.

 

Dans le documentaire, le seul à prendre la défense de Mimara est le conservateur de son musée. Car c’est bien le seul à tirer quelque intérêt de ce musée.

 

Selon le même principe, le complice de Mimara – Tito - a toujours des défenseurs en Serbie.

 

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Notes:


1 Le titre du documentaire est un clin d’œil à «Et l’acier fut trempé» roman autobiographique de l'écrivain soviétique Nikolaï Ostrovski publié en 1932 qui était considéré comme la plus grande œuvre du réalisme socialiste. Le documentaire en VO en serbe peut être vu sur le lien suivant de la chaîne de la RTS : https://youtu.be/JnUvWX_fwAk


2 Le Parti communiste avait été rendu illégal par le Parlement yougoslave en 1921 après l’attentat manqué contre le Prince héritier du trône Alexandre de Yougoslavie puis l’assassinat de l’ancien Ministre de l’intérieur du Royaume par ses membres, aussi, toute activité d’inspiration communiste était considéré comme du terrorisme et passible de peines de prison.


3 Source : Archives militaires à Belgrade, fond des archives Tchetniks, boîte numéro 293, numéro d’enregistrement du document 4/1


4 Source : pour l’Appel du 7 novembre : Archives militaires à Belgrade, fond des archives Tchetniks, boîte numéro 278, numéro d’enregistrement du document 18/1. Pour le message radio du 25 novembre : même archive et fond, boîte numéro 275, numéro d’enregistrement du document 21/1

 

5 A la fin de la guerre, des dizaines de milliers d’oustachis croates et autres nazis ont fui l’Europe vers l’Amérique du sud et l’Uruguay était un des pays à les avoir accueilli.


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