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LA SLOVÉNIE: UN VRAI MIRACLE ÉCONOMIQUE?

Afin que personne qui lira ces lignes ne s’imagine qu’il s’agit d’un article anti-Slovène, je dois le préciser : non, il ne s’agit pas d’un article contre les Slovènes, lesquels me sont de toute façon très sympathiques, en partie parce qu’ils étaient d’excellents Tchetniks. Cet article dénonce la bêtise serbe.

Par Miloslav Samardjic
(article publié en serbe dans le magazine POGLEDI en janvier 2003)
Caricature parue dans Pogledi, numéro du 30 novembre 1988 représentant Janez Stanovnik Président du Présidium de la République fédérative de Slovénie et Slobodan Milosevic Président du Présidium de la République fédérative de Serbie

Comme tout le monde, j’ai pu lire en première page des quotidiens belgradois les records d’affluence au Mercator, premier centre commercial slovène depuis les guerres des années 1990 ouvert il y a peu dans le quartier du Nouveau Belgrade [cet article avait été publié dans le magazine ‘Pogledi’ en janvier 2003 - Note du traducteur] . En même temps, mais cette fois pas dans les premières pages, un article se penchait sur le refus opposé à l’entreprise serbe Delta d’ouvrir un centre commercial comparable à Ljubljana, la capitale de la Slovénie. Au contraire de promesses passées, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un emplacement stratégique à Belgrade pour leur Mercator, les Slovènes avaient proposé à son équivalent serbe différents emplacements tellement peu avantageux dans la banlieue de Ljubljana, que Delta les refusait. Ensuite, on y apprenait que même pendant le premier mois après l’ouverture officielle, le Mercator ne respectait pas les termes du contrat concernant l’approvisionnement des rayons, puisqu’il était prévu qu’y seraient présents des produits fabriqués en Serbie, ce qui est loin d’être le cas.


C’est ainsi que je me suis souvenu d’une histoire d’il y a une quinzaine d’années. Pour le numéro du mois de mai 1988, quand Pogledi n’était encore qu’un journal étudiant, nous travaillions sur le sujet: « Les Slovènes et les Serbes ». A cette époque, cette thématique était une des plus au cœur de l’actualité. Nous sommes entrés en contact avec Tribuna, le journal des étudiants de Ljubljana. Je ne me souviens plus qui le premier avait initié le contact, mais je garde encore mes quelques articles qu’ils avaient publié en slovène. Ils étaient intéressés par des sujets sur les Serbes, mais de sorte que les Serbes apparaissent comme des canailles, et ainsi la collaboration ne pouvait donc pas durer éternellement.


Elle a d’ailleurs justement cessé à cause du sujet « Les Serbes et les Slovènes ». Nous avions convenu d’écrire trois articles chacun de notre coté et que les six articles soient simultanément publiés et dans Tribuna et dans Pogledi. Cependant, quand ils ont reçu nos articles, les Slovènes se sont mis à gagner du temps, pour finalement renoncer à les publier. Au final, Pogledi a publié seulement nos articles, tandis que cette thématique a été tout simplement écartée par Tribuna.


Mais qu’est ce qui a bien donc pu déplaire aux Slovènes ? Je suis persuadé que c’est la réponse à la question essentielle : comment s’est enrichie la Slovénie ? Dans la littérature scientifique de la bibliothèque de la Faculté d’Economie de l’Université de Kragouillévatz où j’étudiais à l’époque, j’étais tombé sur des données qui ne m’ont pas qu’un peu surpris. Les statistiques montraient que le salarié serbe moyen était bien meilleur que le slovène, alors qu’une comparaison de rentabilité entre les agriculteurs serbes et slovènes n’était même pas nécessaire [ La Serbie a une tradition agricole très marquée, et, compte tenu du relief très favorable à l’agriculture, il ne peut y avoir de comparaison avec la Slovénie, pays très montagneux et moins fertile. - Note du Traducteur ]. Et pourtant, la Slovénie s’éloignait à vue d’œil de la Serbie…


Comment en est on arrivé là ?


Remémorons-nous les points de vue habituels de cette époque.


D’après l’Histoire officielle, la période entre les deux guerres mondiales, la « bourgeoisie grand-Serbe » exploitait sans vergogne les régions non Serbes du pays, et donc aussi la Slovénie . Cependant, puisque le nord de le Yougoslavie avait été sous occupation Austro-hongroise, et le sud sous occupation Ottomane, cette prétendue exploitation « grand-Serbe » de l’entre deux guerres ne pouvait pas avoir bousculé si rapidement l’état des lieux hérité d’avant la réunification de ces deux peuples dans un seul pays. Cette situation a d’ailleurs été transmise à l’ère socialiste.


L’« Institut pour le diagnostic et la prévision économique » de la ville de Maribor, en Slovénie, publiait cette même année 1988 le communiqué suivant :


« Tous les indicateurs d’efficacité économique en Slovénie sont à de meilleurs niveaux que dans d’autres régions du pays : la productivité dans l’industrie, l’efficacité des matières premières, le taux d’utilisation des capacités industrielles, la rentabilité des investissements, l’allocation du temps de travail… ».


A un sondage pour l’hebdomadaire belgradois NIN pour savoir qui est exploité et qui est exploiteur en Yougoslavie, la plupart des Slovènes interrogés ont donné ce panel de réponses pour expliquer qu’ils étaient les exploités : « Nous travaillons mieux, nous travaillons plus, nous sommes ponctuels aux heures de travail, nous sommes plus intelligents… ».


Après tout, même en ce mois de décembre 2002, la revue slovène Delo a publié un article expliquant que les Serbes ont eu peur de l’arrivée des bons commerciaux slovènes et que c’est pour cela, comme ils le disent, que les Serbes « font campagne » contre leur Mercator. Mais pas un mot de leur non-respect des clauses du contrat…


Bref, dans mon vieil article de mai 1988, j’avais d’abord établi une comparaison sur la situation précédant l’unification, c'est-à-dire avant 1914.

Concernant les accomplissements démocratiques, la comparaison n’était pas possible, puisque l’Autriche Hongrie était un une structure non-démocratique. Pour cette question, les Slovènes se servent d’un petit tour de passe-passe, invoquant leurs traditions occidentales. En réalité, ils n’ont pas appartenu à l’Occident, mais à l’Europe centrale. Les institutions démocratiques occidentales, anglaises et françaises, n’était soignée que par la Serbie de toutes les régions incluses dans la Yougoslavie. Cette année 1914, la Serbie peut se targuer d’avoir eu un niveau enviable de démocratie.


Pour contribuer à mes affirmations, j’avais cité trois exemples.


Tout d’abord, la Serbie avait la deuxième plus grande proportion de lecteurs dans la population au Monde, juste derrière la ville de Paris (donc pas derrière la France).


Ensuite, la liberté de la presse était pour cette époque à un niveau inhabituellement élevé. Pour l’exemple, juste avant le départ du Roi Pierre 1er de Serbie pour une visite officielle en Russie, on pouvait lire dans le « Journal des ouvriers » : « que le Roi s’en aille, qu’il s’en aille et il n’a pas besoin de revenir, on n’en a pas besoin.».


Troisièmement, il existait une grande liberté pour la publication d’ouvrages littéraires. Ici un bon exemple est le livre « La Serbie et l’Albanie » de Dimitri Toutsovic de janvier 1914. Toutsovic ne s’est pas vu retirer son grade d’officier de réserve , ni pour son livre, ni plus tard, au début de la Première Guerre Mondiale, lorsque le Parti Socialiste qu’il dirigeait avait voté contre l’attribution de crédits pour la guerre alors que la botte de l’occupant Austro-hongrois était déjà sur le sol de la Serbie [ Il affirmait dans son livre que la Serbie occupait le Kosovo et Métochie au sortir des guerres Balkaniques de 1912. Pourtant, ces guerres étaient des guerres de libération du joug Ottoman, et le Kosovo-Métochie avec ce qu'on appelle auhourd'hui 'Macédoine du Nord' était depuis très longtemps appelé « Province de la Vieille Serbie » - Note du Traducteur ]. A l’inverse, la plupart des partis socialistes en Europe avaient soutenu la guerre.


Enfin, il n’y a qu’en Serbie que le parti Anarchiste avait une existence légale, ce qui ne s’était jamais vu dans le Monde, ni jusque là, pas plus depuis.


La comparaison avec la Slovénie concernant l’instruction et la science ne pouvait pas non plus être faite, puisqu’ils ne disposaient pas du tout ni d’établissements d’instruction, ni d’instituts scientifiques. Leur premier lycée a été construit par le Roi Alexandre 1er Karageorgévitch, après l’unification du Royaume des Serbes des Croates et des Slovènes en 1918.


Le seul domaine ou la comparaison est possible, c’est l’économie. La Serbie avait déjà plus d’un demi siècle de tradition industrielle et, en Etat indépendant, un circuit économique complet. Par contre, en Slovénie, sa région la plus petite, les Austro-hongrois n’ont construit que ce dont ils avaient besoin : des infrastructures pour l’exploitation du minerai et des forêts.

En résumé, la Slovénie était dépendante d’une économie étrangère et n’était qu’un des rouages de celle-ci, tandis que la Serbie était autonome et indépendante, tant sur le plan politique qu’économique.

Photo datée de 1928 de l’immeuble de la direction de l’usine d’armement de Kragouillévatz en Serbie, fondée en 1853, et la plus grande des Balkans jusque après la Seconde Guerre mondiale
Le premier grand rapprochement avec les Serbes, selon les indicateurs économiques, a été apporté aux Slovènes par la Première Guerre Mondiale. En effet, à la différence de la Slovénie, la Serbie a subi d’énormes pertes humaines et matérielles à la signature de l’armistice. Après l’unification avec les Croates et les Slovènes, les hommes politiques serbes ont émis le souhait d’établir un impôt spécial au profit des régions qui avaient le plus souffert par la guerre. Mais, devant le tollé provoqué chez les Croates et les Slovènes, ils l’ont rapidement abandonné.

Le deuxième grand pas dans l’industrialisation de la Slovénie a été franchi dans l’entre-deux guerres. D’après le recensement de l’industrie du Royaume de Yougoslavie de 1938, sur la période 1918-1938, sur mille habitants, on investissait 697.000 Dinars dans l’industrie de la Slovènie, 247.000 Dinars dans l’industrie de la Serbie sans la Voïvodine, et en incluant la Vojvodine, et 281.000 Dinars. En d’autres termes, le Royaume de Yougoslavie investissait presque trois fois plus en Slovénie qu’en Serbie. Et quand même, cela ne suffisait pas pour que la petite et pauvre Slovénie puisse se dresser sur ses pieds. A l’orée de la Seconde Guerre Mondiale, les migrations de main d’œuvre allaient de la Slovénie vers la Serbie, et non l’inverse.

Un autre grand pas dans le rattrapage de l’économie Serbe a été franchi par les Slovènes au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, laquelle s’est déroulée, comme la Première, sans destruction sur leur sol. Cependant, cette guerre a apporté quelque chose de fondamental aux Croates et aux Slovènes : le pouvoir de leurs compatriotes sur la Yougoslavie, et absolu qui plus est. Bien qu’ils aient toujours accusé les Serbes de cela, le régime stalinien est arrivé dans l’Etat commun avec les « cadres » croates et slovènes. Staline a protégés, particulièrement eux, les utilisant pour la liquidation, pas seulement de la société démocratique serbe, mais aussi des socialistes serbes. Comme un clin d’œil à cela, le dictateur suprême Josip Broz Tito était à moitié slovène et à moitié croate.
 
Ces Slovènes se servent de leur pouvoir pratiquement tout de suite. Ils ont commencé à piller la Serbie alors que les canons ne s’étaient pas encore tus sur tous les fronts. De la ville de Rakovitsa, ils ont démonté la Fabrique de camions pour la remonter à Maribor, en Slovénie, créant ainsi la marque de camions TAM Maribor. De la ville de Lèskovatz ils emportent les meilleures machines textiles et ainsi est fondée la marque de vêtement Rachitsa en Slovénie. Ils s’emparent de la fabrique de turbines à Nish. De Belgrade, ils ont été jusqu’à emporter la clôture décorative en fer forgé qui entourait le Parlement. On ne connaît pas le nombre précis des œuvres d’art pillées, mais on connait aujourd’hui encore quelques adresses à Ljubljana qui les recèlent.
Photo des années 1930 de la Chambre des Députés à Belgrade et la clôture que les communistes ont démonté après la guerre
Quelle est la valeur de tout ce préjudice subit ? A combien peut on estimer les dommages subis pour, par exemple, le vol d’une usine de production de camions ?

Et c’est alors qu’est survenu un phénomène. Les Slovènes ont, évidemment, plus investi en Slovénie qu’en Serbie, mais dans les proportions suivantes : sur la période 1952 – 1983 la moyenne annuelle des investissements bruts par habitants s’établissait en Slovénie à 5.313 Dinars, en Serbie à 3.005 Dinars. Donc, maintenant les investissements yougoslaves en Slovènie étaient de 80% supérieurs à ceux en Serbie, alors qu’entre les deux guerres, l’Etat commun investissait trois fois plus en Slovénie qu’en Serbie, c'est-à-dire 300% plus. En d’autres termes, les Serbes investissaient bien plus en Slovénie que ne le faisaient les Slovènes eux-mêmes une fois aux commandes de la Yougoslavie.

Comment le faisaient-ils ?

Jusqu’en 1965, il existait un Fond d’Accumulation Central. Dans celui-ci était versé l’accumulation du chiffre d’affaire de toutes les entreprises en Yougoslavie, et ensuite, par la volonté du Parti Communiste il la plus grande part était redistribuée en Croatie et en Slovénie. Soit dit au passage, pour ce qui concernait l’économie, en communisme ce sont toujours les cadres slovènes du Parti étaient qui étaient le plus consultés : dans les années 1950 Boris Kidritch, Boris Krajger dans la conception et la mise en œuvre des réformes économiques de 1965, et, enfin, du temps de la Constitution de 1974 et de la loi sur le travail collectif de 1976, le dément Edvard Kardelj. D’ailleurs, les Slovènes n’ont déboulonné aucun des monuments à l’effigie de ces anciens dignitaires communistes, ce qui n’est guère étonnant puisque leurs gouvernants actuels sont d’anciens leaders du PCY d’hier : Milan Koutchane, Janez Drnovchek... Le régime protège même l’ancien chef de la police politique OUDBA Mitja Ribicic qui, comme son compère serbe Slobodan Penezic avait pour mission de réduire au silence tout ennemi, réel ou potentiel, du régime communiste yougoslave, où que ce soit dans le Monde.

Mais, en 1965, les communistes Slovènes, pour remplacer le Fond d’Accumulation Central, imaginent un nouveau tour de passe-passe qu’on a appelé « les prix cisaillés ». En fait, ils ont établi une règle selon laquelle tout les produits qu’ils achetaient en Serbie étaient à « prix figés », tandis que en même temps les produits qu’ils réussissent à placer en Serbie était à prix libre. Bien entendu, ils interdisaient aux entreprises Serbes d’exporter leur production à l’étranger à des conditions avantageuses. Ainsi, d’énormes quantités d’argent frais se déversaient de Serbie en Slovénie.

Mais pourquoi n’ont-ils procédé à cette méthode avant 1965 ? Parce que jusqu’à cette année-là, ils se constituaient, par la méthode décrite précédemment, un tissus industriel de production de produits finis, lesquels sont par nature plus rentables que la production de matières premières.

Et quand même, malgré tout ce qui précède, les Serbes continuaient d’être de meilleurs ouvriers que les Slovènes. A première vue cela semblait être l’inverse puisque la Slovénie se développait bien plus vite, ce que les Slovènes expliquaient par toutes les raisons sauf par les données authentiques. Et ceux-ci établissent : durant la période 1953 – 1984, la productivité du travail a été la plus forte en Serbie (4,4%) tandis que la Slovénie ne se situait pas en seconde, mais en troisième position avec 4,1%. Cependant, au terme de la vie commune en Yougoslavie, le fait que les ouvriers serbes étaient meilleurs que leurs homologues slovènes était ignoré des ouvriers serbes eux-mêmes. Et si quelqu’un le leur avait révélé, ils ne l’auraient probablement pas cru, après plusieurs décennies de propagande.

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