Comme tout le monde, j’ai pu lire en première page des quotidiens belgradois les records d’affluence au Mercator, premier centre commercial slovène depuis les guerres des années 1990 ouvert il y a peu dans le quartier du Nouveau Belgrade [cet article avait été publié dans le magazine ‘Pogledi’ en janvier 2003 - Note du traducteur] . En même temps, mais cette fois pas dans les premières pages, un article se penchait sur le refus opposé à l’entreprise serbe Delta d’ouvrir un centre commercial comparable à Ljubljana, la capitale de la Slovénie. Au contraire de promesses passées, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un emplacement stratégique à Belgrade pour leur Mercator, les Slovènes avaient proposé à son équivalent serbe différents emplacements tellement peu avantageux dans la banlieue de Ljubljana, que Delta les refusait. Ensuite, on y apprenait que même pendant le premier mois après l’ouverture officielle, le Mercator ne respectait pas les termes du contrat concernant l’approvisionnement des rayons, puisqu’il était prévu qu’y seraient présents des produits fabriqués en Serbie, ce qui est loin d’être le cas.
C’est ainsi que je me suis souvenu d’une histoire d’il y a une quinzaine d’années. Pour le numéro du mois de mai 1988, quand Pogledi n’était encore qu’un journal étudiant, nous travaillions sur le sujet: « Les Slovènes et les Serbes ». A cette époque, cette thématique était une des plus au cœur de l’actualité. Nous sommes entrés en contact avec Tribuna, le journal des étudiants de Ljubljana. Je ne me souviens plus qui le premier avait initié le contact, mais je garde encore mes quelques articles qu’ils avaient publié en slovène. Ils étaient intéressés par des sujets sur les Serbes, mais de sorte que les Serbes apparaissent comme des canailles, et ainsi la collaboration ne pouvait donc pas durer éternellement.
Elle a d’ailleurs justement cessé à cause du sujet « Les Serbes et les Slovènes ». Nous avions convenu d’écrire trois articles chacun de notre coté et que les six articles soient simultanément publiés et dans Tribuna et dans Pogledi. Cependant, quand ils ont reçu nos articles, les Slovènes se sont mis à gagner du temps, pour finalement renoncer à les publier. Au final, Pogledi a publié seulement nos articles, tandis que cette thématique a été tout simplement écartée par Tribuna.
Mais qu’est ce qui a bien donc pu déplaire aux Slovènes ? Je suis persuadé que c’est la réponse à la question essentielle : comment s’est enrichie la Slovénie ? Dans la littérature scientifique de la bibliothèque de la Faculté d’Economie de l’Université de Kragouillévatz où j’étudiais à l’époque, j’étais tombé sur des données qui ne m’ont pas qu’un peu surpris. Les statistiques montraient que le salarié serbe moyen était bien meilleur que le slovène, alors qu’une comparaison de rentabilité entre les agriculteurs serbes et slovènes n’était même pas nécessaire [ La Serbie a une tradition agricole très marquée, et, compte tenu du relief très favorable à l’agriculture, il ne peut y avoir de comparaison avec la Slovénie, pays très montagneux et moins fertile. - Note du Traducteur ]. Et pourtant, la Slovénie s’éloignait à vue d’œil de la Serbie…
Comment en est on arrivé là ?
Remémorons-nous les points de vue habituels de cette époque.
D’après l’Histoire officielle, la période entre les deux guerres mondiales, la « bourgeoisie grand-Serbe » exploitait sans vergogne les régions non Serbes du pays, et donc aussi la Slovénie . Cependant, puisque le nord de le Yougoslavie avait été sous occupation Austro-hongroise, et le sud sous occupation Ottomane, cette prétendue exploitation « grand-Serbe » de l’entre deux guerres ne pouvait pas avoir bousculé si rapidement l’état des lieux hérité d’avant la réunification de ces deux peuples dans un seul pays. Cette situation a d’ailleurs été transmise à l’ère socialiste.
L’« Institut pour le diagnostic et la prévision économique » de la ville de Maribor, en Slovénie, publiait cette même année 1988 le communiqué suivant :
« Tous les indicateurs d’efficacité économique en Slovénie sont à de meilleurs niveaux que dans d’autres régions du pays : la productivité dans l’industrie, l’efficacité des matières premières, le taux d’utilisation des capacités industrielles, la rentabilité des investissements, l’allocation du temps de travail… ».
A un sondage pour l’hebdomadaire belgradois NIN pour savoir qui est exploité et qui est exploiteur en Yougoslavie, la plupart des Slovènes interrogés ont donné ce panel de réponses pour expliquer qu’ils étaient les exploités : « Nous travaillons mieux, nous travaillons plus, nous sommes ponctuels aux heures de travail, nous sommes plus intelligents… ».
Après tout, même en ce mois de décembre 2002, la revue slovène Delo a publié un article expliquant que les Serbes ont eu peur de l’arrivée des bons commerciaux slovènes et que c’est pour cela, comme ils le disent, que les Serbes « font campagne » contre leur Mercator. Mais pas un mot de leur non-respect des clauses du contrat…
Bref, dans mon vieil article de mai 1988, j’avais d’abord établi une comparaison sur la situation précédant l’unification, c'est-à-dire avant 1914.
Concernant les accomplissements démocratiques, la comparaison n’était pas possible, puisque l’Autriche Hongrie était un une structure non-démocratique. Pour cette question, les Slovènes se servent d’un petit tour de passe-passe, invoquant leurs traditions occidentales. En réalité, ils n’ont pas appartenu à l’Occident, mais à l’Europe centrale. Les institutions démocratiques occidentales, anglaises et françaises, n’était soignée que par la Serbie de toutes les régions incluses dans la Yougoslavie. Cette année 1914, la Serbie peut se targuer d’avoir eu un niveau enviable de démocratie.
Pour contribuer à mes affirmations, j’avais cité trois exemples.
Tout d’abord, la Serbie avait la deuxième plus grande proportion de lecteurs dans la population au Monde, juste derrière la ville de Paris (donc pas derrière la France).
Ensuite, la liberté de la presse était pour cette époque à un niveau inhabituellement élevé. Pour l’exemple, juste avant le départ du Roi Pierre 1er de Serbie pour une visite officielle en Russie, on pouvait lire dans le « Journal des ouvriers » : « que le Roi s’en aille, qu’il s’en aille et il n’a pas besoin de revenir, on n’en a pas besoin.».
Troisièmement, il existait une grande liberté pour la publication d’ouvrages littéraires. Ici un bon exemple est le livre « La Serbie et l’Albanie » de Dimitri Toutsovic de janvier 1914. Toutsovic ne s’est pas vu retirer son grade d’officier de réserve , ni pour son livre, ni plus tard, au début de la Première Guerre Mondiale, lorsque le Parti Socialiste qu’il dirigeait avait voté contre l’attribution de crédits pour la guerre alors que la botte de l’occupant Austro-hongrois était déjà sur le sol de la Serbie [ Il affirmait dans son livre que la Serbie occupait le Kosovo et Métochie au sortir des guerres Balkaniques de 1912. Pourtant, ces guerres étaient des guerres de libération du joug Ottoman, et le Kosovo-Métochie avec ce qu'on appelle auhourd'hui 'Macédoine du Nord' était depuis très longtemps appelé « Province de la Vieille Serbie » - Note du Traducteur ]. A l’inverse, la plupart des partis socialistes en Europe avaient soutenu la guerre.
Enfin, il n’y a qu’en Serbie que le parti Anarchiste avait une existence légale, ce qui ne s’était jamais vu dans le Monde, ni jusque là, pas plus depuis.
La comparaison avec la Slovénie concernant l’instruction et la science ne pouvait pas non plus être faite, puisqu’ils ne disposaient pas du tout ni d’établissements d’instruction, ni d’instituts scientifiques. Leur premier lycée a été construit par le Roi Alexandre 1er Karageorgévitch, après l’unification du Royaume des Serbes des Croates et des Slovènes en 1918.
Le seul domaine ou la comparaison est possible, c’est l’économie. La Serbie avait déjà plus d’un demi siècle de tradition industrielle et, en Etat indépendant, un circuit économique complet. Par contre, en Slovénie, sa région la plus petite, les Austro-hongrois n’ont construit que ce dont ils avaient besoin : des infrastructures pour l’exploitation du minerai et des forêts.
En résumé, la Slovénie était dépendante d’une économie étrangère et n’était qu’un des rouages de celle-ci, tandis que la Serbie était autonome et indépendante, tant sur le plan politique qu’économique.
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