EN SERBIE AVANT 1941, IL EXISTAIT 11 FABRIQUES D'AVIONS
"Après tout, la Serbie ne pourrait pas produire d’avions” – a déclaré récemment un fonctionnaire du gouvernement sur la Première chaîne de la chaîne publique de la RTS – la Radio Télévision de Serbie.
Par Miloslav SAMARDJIC
Traduction du serbe et adaptation de l’article publié dans la revue «Liberty» de la «Serbian National Defense» de Chicago (USA) le 10 mars 2010.
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Un haut fonctionnaire du gouvernement [de Serbie – NdT] a expliqué récemment sur la Première chaîne de la RTS que l’avenir du pays repose sur l’agriculture. Quand il a épuisé tout les arguments, il a conclu par « après tout, la Serbie ne peut pas produire d’avions ». Actuellement, il est vrai que ça semble compliqué. Après la catastrophe que subit l’industrie serbe depuis 1945 jusqu’à nos jours, il est difficile d’imaginer un succès même dans un secteur d’activité de production infiniment moins complexe que l’aviation. Par ailleurs, après le maelström formé de collectivisation, autogestion, patrimoine public et autres termes qui ont sévi dans ces contrées, il est vrai qu’il est difficile de croire que les choses avaient pu être significativement meilleures par le passé.
Concrètement, qu’aurait pensé ce haut fonctionnaire si quelqu’un lui disait qu’avant la mainmise du communisme sur la Serbie, il y avait pas moins de 11 fabriques d’avions !
Et pourtant c’est vrai !
La «Première fabrique serbe d’avions Rogojarski» est fondée en 1923 dans la ville de Zemun
[lire «Zémoune» - NdT]. La même année, une autre fabrique a été créée – «Ikarus», qui rapidement s’installera aussi à Zemun. Les années suivantes verront l’ouverture en Serbie de neuf autres fabriques du secteur aéronautique : «Zmaj» à Zemun, «Utva» à Belgrade et Pantchévo, «Industrie des moteurs d’avions» à Rakovitsa, «Industrie yougoslave des moteurs d’aéroplanes Hispano Suiza» à Belgrade, ainsi que trois fabriques d’instruments aéronautiques de précision – «Teleoptik», «Nestor» et «Mikron» à Zemun et Belgrade, «Atelier aéroplane de l’institut technique aéronautique» à Kraliévo (qui à partir de 1939 sera renommée en "Fabrique publique d’avions") et «Yasenitsa» dans la ville de Smederevska Palanka.
Ainsi, dans ce secteur, la Serbie était de loin la plus forte dans – comme on dit de nos jours - la région.
D’après le Dr Nikola Joutic, auteur du livre «L’industrie aéronautique et l’aviation du Royaume de Yougoslavie 1918-1945»*, l’essor impressionnant de l'industrie la plus moderne et la plus complexe de l’époque est dû à deux facteurs.
En premier lieu il s’agit de l’incitation extérieure, franco-britannique – parce que le Royaume de Yougoslavie et en particulier la Serbie où était concentrée toute l’industrie aéronautique yougoslave – était considérée comme un obstacle, aussi bien à l’idée de recréation de la monarchie austro-hongroise que de la percée du communisme depuis l’Union Soviétique.
Le second facteur était intérieur, il se reflétait dans «l’enthousiasme et l'esprit entrepreneurial individuel», mais aussi dans la compréhension par le pouvoir que la démocratisation de l’aéronautique ne peut qu’apporter un bénéfice incalculable dans tous les sens du terme. Durant la période du règne du Roi Alexandre et du Prince régent Paul, chaque occasion était opportune pour l’organisation d’un meeting aérien, d’un spectacle aérien, d’une exposition et d’autres évènements de ce genre, durant lesquels étaient présentés les accomplissements les plus modernes de l’industrie aéronautique nationale.
Les fabriques énumérées produisaient tout type d’aéronef, depuis le chasseur jusqu’à l’hydravion. Par la qualité de ses fabrications, le Royaume, d’après Joutic, réussissait à concurrencer les réalisations de pays européens bien plus développés. Par exemple, le chasseur ‘Rogozarski IK-3’, construit par les disciples de l’école française Lioubomir Ilic, Kosta Sivtchev et Slobodan Zrnic**, était considéré comme le meilleur avion serbe. Dès son premier vol d’essai, à la mi-1938, le prototype avait montré d’excellentes caractéristiques.
Une première escadrille de 12 avions IK-3 avait été livrée à l’Aéronautique Royale yougoslave au printemps et à l’été 1940. Bien qu’il ait pu atteindre la vitesse exceptionnelle pour l’époque de 527 kilomètres par heure, son atout principal était sa manœuvrabilité. Il parait certainement incroyable aujourd’hui de savoir que le chasseur domestique IK-3 était plus maniable que l’allemand Messerschmitt BF 109E. Les Messerschmitt que le Royaume de Yougoslavie avait achetés en 1938 étaient utilisés pour l’entrainement des pilotes aux appareils IK-3, afin de créer une tactique qui utilisera au mieux la manœuvrabilité de l’avion national. Et elle a effectivement été créée : cinq chasseurs IK-3 qui avaient réussi à décoller le 6 avril 1941*** ont abattu au dessus de Belgrade exactement dix avions allemands.
Les Allemands avaient ensuite, pendant l’Occupation, emporté une partie de l’équipement de nos usines d’aviation, tandis qu’une autre partie a été laissée sur place, rattachant notre potentiel dans leur industrie aéronautique.
Une autre tragédie est survenue au printemps 1944, quand les bombardiers des Alliés occidentaux ont endommagé beaucoup de lignes de production. Entre autres, la partie la plus moderne de l’usine « Ikarus », construite en 1939 avait été complètement rasée.
Dès le 24 octobre 1944, les représentants des quatre fabriques d’avions ont établi que 60 à 70% du potentiel de production avait pu être préservé. Les plus lourdes pertes étaient humaines. Pendant la guerre, sur les 6.000 salariés que comptait l’industrie aéronautique, 1.000 ont été tués (la majorité à Kraliévo en octobre 1941, quand les Allemands ont exécutés en représailles 500 ouvriers de la Fabrique publique d’avions). Par ailleurs, beaucoup avaient été mobilisés de force par les communistes et envoyés sur le front suicidaire de Syrmie, tandis que les salariés d’origine allemande avaient quitté le pays. Ainsi, fin 1944, à Belgrade, Zemun et Pantchevo, seuls 1.200 salariés de l’industrie aéronautique avaient pu être réunis.
La pénible reprise de la production, qui a eu lieu pratiquement immédiatement après la fin de l’occupation allemande, a été ralentie par le nouveau système communiste. Les actionnaires, qui par nature dirigeaient la production, avaient été accusés, au cours de 1946, par le nouveau pouvoir communiste de collaboration avec l’occupant, dans le but de leur confisquer leurs usines. Ils avaient d’abord été contraints d’apporter leurs actions «volontairement», puis ensuite ils avaient tout de même été condamnés. Le quotidien «Politika» avait à l’époque rapporté que les principaux actionnaires et dirigeants de la société «Ikarus», Dimitrié Kognovic, Nikola Lukatch et Djoka Djurtchina avaient été condamnés à «des peines légères», puisqu’on leur «avait seulement confisqué la totalité de leur entreprise».
En réalité, les 12 actionnaires d’Ikarus étaient déjà tous dans le processus de demande de réparation de guerre à l’Allemagne à hauteur de 20 millions de Dinars, en se basant sur la dernière année avant le conflit au cours de laquelle ils avaient réalisé un résultat de cinq millions de Dinars. Certains d’entre eux allaient réellement travailler pendant la guerre, ce que faisaient aussi les ouvriers pour pouvoir nourrir leur famille. Mais les communistes ne s’embarrassaient pas de ces «détails».
Dans la période qui a suivi, la concentration des fabriques de l’aéronautique a été imposée, de telle sorte que les plus petites avaient été rattachées aux plus grandes, mais on a aussi imposé l’extinction de la «Première fabrique serbe d’avions Rogojarski» qui a été transformée en fabrique de cardans rotatifs (IKL), ainsi que de «Zmaj», qui à partir de ce moment fabriquera des machines agricoles.
Quand même, en se basant sur la documentation d’avant-guerre, le premier avion produit dans la nouvelle Yougoslavie a décollé dès le 22 octobre 1946. Il s’agissait de l’avion-école «Aero-26», et il a été produit chez Ikarus. Trois ans plus tard décollera aussi le premier chasseur, le «C-49», qui en réalité était une version modifié du «IK-3» (deux des trois constructeurs étaient les mêmes).
L’effondrement le plus lourd de l’industrie aéronautique serbe est survenu dès 1950, avec la création de la fabrique d’avions « Soko » à Mostar [aujourd’hui en Bosnie-Herzégovine - NdT]. À cette époque à Mostar seront déménagées les chaînes de production de Serbie non seulement des anciennes fabriques aéronautiques, mais aussi de l’usine «Prva Petoletka» de la ville de Trstenik qui avait été créée seulement un an plus tôt pour produire des pièces d’avions et qui se verra alors assigner la fabrication de systèmes hydrauliques et pneumatiques. Plusieurs centaines d’ouvriers et ingénieurs des usines de Belgrade, Zemun et Pantchevo ont été déménagés à Mostar. Ceux qui restaient à Ikarus - et en 1951 ils étaient encore plus de 1.200 - ont été contraint de devoir choisir entre une coopération avec FAP Priboj qui allait produire des camions ou bien se mettre à fabriquer des autobus. Les salariés ont résisté jusqu’en 1961, quand la production d’avions a définitivement cessé chez Ikarus.
L’ancienne équipe d’Ikarus - celle d’avant la guerre, ainsi que celles des fabriques qui lui avaient été rattachées, avait réussi entre-temps à réaliser trois autres exploits : elle a construit le premier avion yougoslave à réaction, l’avion-école biplace Ikarus 451 «Matica» qui avait établi le record du Monde de vitesse dans sa catégorie (750,34 km/h), tandis que le Ikarus S 451 «Zolja» avait établi le record du Monde dans la catégorie des ultralégers à réacteurs (500,2 km/h).
La construction de l’usine « Soko » à Mostar - pour remplacer «Ikarus» et d’autres fabriques à Belgrade et en Serbie - a détruit l’industrie aéronautique serbe, mais n’a pas fait s’illustrer l’aéronautique yougoslave, car ce genre d’expérimentation – imposer les hautes technologies dans des sociétés sans tradition ni culture industrielle – menait rarement à la réussite. Elles n’avaient particulièrement pas de potentiel dans un système de production communiste, qui s’est montré être plus faible que le système capitaliste. En comparaison avec les pays occidentaux, la Yougoslavie était en retard dans tous les secteurs économiques, que ce soit en qualité ou en quantité. À titre d’exemple, entre 1945 et 1990, les Italiens achetaient un plus grand nombre de réfrigérateurs, automobiles, etc… pour cent habitants que les Yougoslaves, et de plus ces produits étaient de meilleure qualité.
Ainsi, les avions fabriqués à Mostar ne pouvaient pas même de loin concurrencer les «Phantom», «Mirage» et autres avions de l’ouest, au contraire de la période d’avant la Seconde Guerre mondiale comme ça a été le cas avec le chasseur IK-3.
Bien que les communistes prétextaient le danger - après la Résolution du Kominform - d’une invasion depuis les autres pays socialistes depuis l’est de l’Europe pour déménager les usines de l’industrie aéronautique depuis la Serbie vers les autres républiques yougoslaves à l’ouest, saute aux yeux le fait que ces déménagement n’ont pas été entrepris cette année 1948. Au contraire, en 1949, une autre usine d’aéronautique était construite en Serbie, et les déménagements ont été réalisés dans une période où les rapports avec les pays du bloc de l’Est n’étaient plus aussi électriques.
En prenant du recul, on peut s’apercevoir que les communistes déménageaient les usines depuis la Serbie aussi bien avant qu’après 1948 : l’usine de production de poids lourds a été démontée de Rakovitsa, en banlieue de Belgrade, pour être remontée à Maribor en Slovénie et ainsi a été créée la marque TAM ; l’usine produisant des turbines a été déménagée depuis la ville de Nish au sud de la Serbie pour être installée à Ljubljana en Slovénie, l’industrie textile depuis Leskovatz – appelée avant-guerre la « Manchester serbe » - envoyée aussi à Ljubljana, l’usine de cannons a été transférée depuis Kragouillévatz vers Travnik dans le centre de la Bosnie, etc…
Le communisme n'a ainsi été que le début d'une lente descente aux enfers pour la Serbie.
Notes de bas de page
* publié en serbe uniquement : др Никола Жутић ”Авиоиндустрија и ваздухопловство Краљевине Југославије 1918-1945”. - NdT
** en réalité son nom de code était IKZ pour Ilic, Kosta et Zrnic. Le Z en cyrillique s’écrivant „З“ avec le temps il a été confondu avec le chiffre 3 qui lui est resté. - NdT.
*** lors de l’attaque par surprise de l’Allemagne nazie sur le Royaume de Yougoslavie – NdT
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